Un silence de mort régnait dans la ruelle en terre qui menait jusqu'au vieil entrepôt délabré et délaissé. Pas un gramme de vent ne venait froisser quelques feuilles pour faire un tout petit peu de bruit. Les animaux avaient déserté l'endroit depuis longtemps, à cette heure-ci de la nuit, et la lune qui éclairait les lieux les rendait trop dangereux pour permettre à quiconque de faire du commerce illégal.
Rien ne venait déranger la tranquillité de cette soirée, et pourtant, ce silence accablant était bien plus effrayant que le bruit. Un beau paradoxe, puisque qui disait silence disait absence de toute présence, alors que le bruit aurait prouvé le contraire. Que risque-t-on exactement s'il n'y a personne pour vous faire du mal ?
Pourtant, Liah ne s'y laissa pas prendre. Elle savait trop bien comme le silence pouvait être dangereux. Surtout par les temps qui couraient. Rien n'indiquait un danger, et pourtant elle pouvait le sentir à plein nez, tout autour d'elle. Quelque chose, ici, dans ce lieu abandonné, avait eu lieu, et ce n'était pas terminé. Mais elle devait se trouver ici... elle devait le voir, il le fallait. Elle n'avait pas le choix.

La jeune ange se concentra du mieux qu'elle le pouvait. Elle était cachée à l'ombre d'un arbre, tandis que la lune éclairait tout le bâtiment, ou du moins ce qu'il en restait. Les quatre murs se dressaient encore péniblement, mais le toit avait disparu. Seul la charpente montrait encore qu'il y avait eu quelque chose, avant, mais le vent, lorsqu'il y en avait, venait régulièrement s'engouffrer dans le bâtiment, propice aux courants d'air. D'ailleurs, quelques feuilles mortes finirent par gratter le sol et émettre un petit bruit tandis que la fine brise aérait un peu l'ambiance lourde.

Liah se concentra néanmoins, cachée, pour se mettre en sécurité. L'invisibilité n'était pas son pouvoir le plus développé, mais elle y travaillait souvent, et s'améliorait, petit à petit. Doucement, sa main se mit à ressembler à de l'eau. On pouvait encore distinguer la forme, les courbes, les plus, les ongles, mais elle était totalement translucide, comme une main de verre. Peu à peu, « l'eau » se répandit sur le corps de la jeune femme, et au bout de quelques secondes, Asaliah ressembla à une femme en verre, mais un verre mouvant. Tout son corps était à présent translucide, comme de l'eau, et la jeune femme ferma les yeux pour perfectionner ce chef d'oeuvre. Logiquement, si elle contrôlait vraiment son pouvoir, elle serait totalement invisible, mais c'est une chose qu'elle n'était parvenue à faire qu'une seule fois, lorsque l'adrénaline l'avait aidée à aller puiser dans ses ressources les plus profondes.
Toutefois, avec la concentration dont elle faisait preuve ce soir, elle parvint à devenir moins visible, même si pas totalement invisible. Le bout de ses cheveux résista encore, et finalement, Liah fut presque transparente, seuls quelques mèches de cheveux flottant dans l'air.

S'appuyant sur l'obscurité malgré la lune, elle se permit alors de se diriger vers le bâtiment. Elle regarda autour d'elle en atteignant la grande porte située vers l'ouest, et entra le plus discrètement possible.
Dans le hangar abandonné, des couloirs menaient à différentes pièces autrefois aménagées pour la fabrication de divers matériaux. Aujourd'hui, la plupart des fenêtres internes et externes étaient cassées, et l'on pouvait voyager d'une pièce à l'autre sans difficulté. Pourtant, ces pièces offraient mille et une cachettes, et Liah en profita. Elle se faufila à travers les couloirs, et pénétra dans une pièce où elle put enfin relâcher son pouvoir, épuisée. Son corps réapparut progressivement, jusqu'à ce qu'elle soit à nouveau elle-même.
Elle se cacha dans une ancienne armoire, consciente que cela ne l'aiderait guère en cas d'attaque, mais toutefois persuadée que c'était plus prudent.
Elle attendit patiemment, espérant que la personne qu'elle attendait viendrait enfin. Cette personne ne savait pas que Liah l'attendait, l'ange vivant de cachette en cachette depuis près de 344 ans, évitant de faire savoir où elle était. Car Asaliah était un ange recherché, aussi bien par les anges eux-mêmes que par les démons, les premiers la considérant comme une traîtresse à sa race, tandis que les deuxièmes la voulant morte pour satisfaire l'égo blessé de ce cher Satan. Sans compter les mortels qui ne feraient qu'une bouche de son sang doré à chaque usage de ses pouvoirs, comme en cet instant.

Mais elle devait prendre ce risque, voir cette personne, lui parler si elle le pouvait. Quitte à prendre des risques énormes, autant pour elle que pour cette personne, car quiconque était en contact avec elle sans la dénoncer était considéré comme un allié, un complice. Liah était consciente de mettre en danger tous ceux avec qui elle parlait ou échangeait, mais elle ne pouvait se résoudre à vivre son éternité dans la solitude. Il y avait bien trop à accomplir encore, bien trop à faire, pour que les hybrides triomphent de cette guerre, pour qu'ils mènent la terre à son salut, à sa liberté, à sa prospérité.

Déterminée, elle patienta calmement, se demandant jusque quand elle prévoyait d'attendre. Mais elle n'avait rien à perdre, rien d'autre à faire. Et elle n'allait pas mourir de faim. Tout ce qu'elle risquait, c'était de s'endormir, mais elle savait que le moindre bruit la réveillerait.
Alors, elle attendit...

Asaliah pouvait déjà le sentir. Il était là. C'était un ange, à n'en pas douter, et bien qu'elle aurait dû se sentir soulagée, elle-même du côté bénéfique de l'univers, elle n'en fit rien. Aujourd'hui, il fallait se méfier de tout et de tout le monde, surtout des plus innocents. Elle espérait que ça soit lui, mais elle ne pourrait en être sûre qu'une fois qu'elle l'aurait vu. Cela demandait un certain degré de dangerosité, mais elle était prête à prendre le risque. Il fallait qu'elle le voit, qu'elle le rencontre. Il fallait qu'elle lui parle et qu'elle sache. Peu importe ce qu'elle allait apprendre, elle pourrait enfin guider son existence plus sereinement, plus consciente de la réalité qu'aujourd'hui.

Alors qu'elle pouvait sentir l'aura angélique à plein nez, elle ne bougea pas. Elle entendit les pas, le bruit, le souffle. Oh, il faisait tout pour être silencieux. Mais, apparemment quelque chose, ou quelqu'un, l'en empêchait. Asaliah était loin de se douter de quoi il s'agissait, d'imaginer qu'il était blessé, et cela par sa faute, puisqu'il avait voulu venir ici. Volontairement, tout en prenant des risques. Si elle l'avait su, elle ne serait pas venue pour l'empêcher de se rendre dans cet endroit étrange et dangereux.
Peu importait, toutefois. Il était trop tard, et ils étaient là, tous les deux.

Alors qu'elle pouvait à présent sentir sa présence dans la même pièce qu'elle, la porte de l'armoire dans laquelle elle se trouvait se déplaça, laissant place à une image désolante. L'ange usait de l'un de ses pouvoirs avec perfection, mais il était blessé et semblait souffrir atrocement. Ses souffrances n'étaient visibles que par la tête qu'il affichait, mais Liah pouvait aisément deviner que cela n'annonçait rien de réjouissant. C'est dans ces moments-là qu'elle regrettait que tous les anges n'aient été dotés du pouvoir de guérison plutôt que de celui de la vitesse. Malheureusement, elle savait qu'elle ne pouvait rien faire pour lui. Pas pour l'instant, en tout cas.

Il usa de ses dernières forces pour lui parler, alors qu'elle n'avait même pas pris la peine d'une précaution ou l'autre, faisant confiance à cet étranger immédiatement. Comme si elle avait su qu'il représentait le bien, le bien à l'état pur et non celui que son frère essayait d'instaurer sur le Nuage et sur Terre. De toute façon, au vu de sa situation, il ne pouvait guère représenter un grave danger. Il aurait suffit à Liah de ralentir le temps quelque peu pour fuir, face à sa faiblesse grandissante.
Quand il prit la parole, elle ne fut guère étonnée qu'il connaisse son nom. Malgré elle, l'ange était célèbre, et cela n'était franchement pas un cadeau. Difficile de se cacher ou de passer inaperçu quand tout le monde vous connait. C'était son cas. Elle était un peu l'impression d'être un éléphant qui voudrait se cacher dans un trou de souris. Se cacher était la tâche la plus difficile de son quotidien.

L'ange continua sur sa lancée, sans s'arrêter. Il lui expliqua qu'il était là car il avait une dette envers le Fondateur, père d'Asaliah. Il semblait vouloir expliquer qu'Ezekiel avait rendu son existence vivable, qu'il l'avait aidé quand il n'y avait plus d'espoir, et qu'il lui était redevable pour l'éternité. Oui, sauf qu'Ezekiel était mort. L'ange voulait aider Asaliah, pour affranchir sa dette envers son père, mais il semblait soudain que c'était Liah qui allait devoir l'aider. Aussitôt sa phrase terminée, il s'écroula, à bout de force.
Cette fois encore, elle aurait voulu avoir la force parmi ses pouvoirs, mais rien de tout cela. Elle ne pouvait que se rendre invisible, et ralentir le temps. Et courir vite. Cela ne l'aiderait en rien à partir d'ici avec cet ange.

Sortant de son armoire, elle s'accroupit aux côtés d'Isaac-Alexander.

« Je ne connais même pas votre nom... Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Rester ici, c'est comme si je vous tirais directement une balle dans la tête. Est-ce que vous êtes capable de vous lever et de marcher jusqu'à la forêt ? »

La jeune ange ne savait que faire, à vrai dire. La seule qui avait la capacité d'aider cet ange était Selene, qui avait le pouvoir de guérison, et le maîtrisait plutôt bien. Mais comme l'appeler ? Asaliah n'avait pas la moindre idée d'où elle se trouvait en ce moment.
En attendant de trouver mieux, elle tenta de hisser l'homme pour l'installer dans une position plus confortable. Aussi confortable que l'endroit et ses blessures le permettaient, du moins. Elle s'assit alors à ses côtés, dans le silence qui régnait à nouveau. Liah entendit un oiseau prendre son envol en froissant des feuilles. Elle regarda l'ange.

« Vous connaissiez mon père alors. Qu'est-ce qui vous a amené ici, à prendre tous ces dangers ? Comment saviez-vous que j'y étais ? Savez-vous seulement pourquoi je suis là, à vous attendre ? A moins que comme moi vous ne connaissiez quelqu'un qui détient le pouvoir de prémonition... ou alors, vous-même le possédez. Quoi qu'il en soit, comment puis-je savoir que je peux vous faire confiance ? Vous me direz... il est déjà trop tard. De toute façon, je n'ai jamais eu peur de mourir. Encore moins maintenant. Je ne connais pas votre nom, mais je sais que vous pouvez m'aider à connaître les véritables intentions de mon père. Vous le connaissiez, dites-moi ce qu'il pensait de tout cela ? De ma fille ? Des hybrides ? Comment le monde doit-il finir ? »

C'était des questions bien difficiles qu'elle posait là, mais c'était les réponses dont elle avait besoin. Elle se souvint alors dans le silence de la nuit que Selene lui avait fourni un petit gadget qui lui permettrait de recevoir un signal et de savoir où elle était, en cas de besoin. Miss Jones lui avait bien spécifié de ne l'utiliser qu'en cas d'extrême urgence, car si cela tombait en de mauvaises mains, Asaliah pourrait y laisser sa peau. Mais elle estima que l'ange qui avait bravé les dangers pour elle méritait bien qu'elle en brave quelques-uns pour lui.
Elle appuya donc sur le petit bouton du gadget, qui se mit à clignoter. A présent, il n'y avait plus qu'à attendre, en espérant que Selene pourrait les retrouver et sauver Isaac-Alexander.

L'ange en face d'elle ne semblait même pas comprendre tout ce qu'elle lui disait. Elle avait tellement de questions dans la tête, tellement à apprendre, à savoir, et elle aurait voulu tout entendre de sa bouche, tout de suite, sans attendre. Malheureusement pour elle, celui qui avait peut-être quelques réponses à lui fournir ne semblait pas en état de les lui donner. Il était au bord de l'inconscience. Toutefois, une illumination sembla jaillir dans son regard quand elle parla de prémonition. Il semblait égaré, mais se releva toutefois avec peine, accrochant le regard d'Asaliah comme si c'était là la dernière chose qu'il voyait. Liah ne permettrait pas une telle chose, elle refusait que l'ange meurt à cause d'elle. Elle avait suffisamment été la cause de nombreuses morts.
Puis, le regard changea, de l'égarement, il passa à la contrariété, et Liah se demanda ce qui pouvait bien passer par la tête d'Isaac-Alexander. A quoi pensait-il ? Allait-il lui révéler quelque chose d'important. Tout dans son être semblait mener à cette conclusion, pourtant, pour les réponses, elle devrait attendre, comme il le lui signifia clairement. Un danger bien plus grave que des questions sans réponses semblait germer, ou peut-être était-il déjà trop tard, peut-être était-il déjà là.

L'ange parla vite, trop vite, car Liah n'eut pas le temps de tout intégrer que déjà il la pressait. Les nouvelles qu'il lui apportait, cependant, ne lui échappèrent pas. Il avait vu, par une technique qu'elle ne connaitrait pas, que des démons allaient l'attaquer ici, ce soir. Il était venu la prévenir. Elle était en danger de mort, et il avait jugé bon, au risque de sa vie, de venir le lui dire. Pourquoi ? Elle l'ignorait royalement, et ce n'était de toute évidence pas le moment de demander. Des choses plus urgentes se mettaient doucement en place. Elle était avec un ange qui n'allait pas tarder à y rester si elle ne faisait rien, et des démons arrivaient pour la tuer ou la capturer. Que ça soit l'un ou l'autre, elle ne permettrait aucune de ces alternatives. Elle n'avait pas peur de mourir, mais elle refusait que celui qui s'était mis en danger pour elle meurt ou ait pris de tels risques pour rien. Et sa capture, elle le savait, n'arrangerait rien à la guerre. Il fallait donc qu'elle s'en sorte d'ici, et qu'elle le sorte également de la situation pour le soigner.

Elle n'oublia pas qu'elle avait appelé Selene, qui ne tarderait pas à rejoindre le lieu du danger. Liah craignait pour elle, car même si Selene était un ange puissant, elle ne savait pas combien de démon allaient débarquer, ni s'ils étaient puissants ou non – mais il était évident que Satan n'enverrait pas de jeunes recrues pour la capturer elle, alors qu'elle leur échappait depuis des centaines d'années !
Ils n'eurent cependant guère le temps de préparer une quelconque stratégie. Très vite, ils purent sentir les auras maléfiques. Elles semblaient nombreuses, en tout cas plus de deux ou trois. Le cœur de la jeune femme se serra puis bondit avec violence dans sa poitrine. Elle n'avait pas la moindre idée de comment se sortir de cette situation. Elle jeta un œil à son complice d'un soir, il n'allait pas pouvoir faire long feu s'ils se mettaient à courir. Elle n'avait pas le choix, elle allait devoir les affronter.

« Quels sont vos pouvoirs ? Et votre âge ? Est-ce qu'ils peuvent nous être utiles ? »

Tout en parlant à voix basse, elle passa un bras sous les épaules de son compagnon pour le relever.

« Vous pensez pouvoir courir un peu, pour nous mettre à l'abri ? Je peux ralentir le temps, mais je ne suis pas bien vieille, je n'arriverai pas à le faire suffisamment longtemps pour que nous nous échappions... seulement le temps de nous mettre à l'abri, cet entrepôt est un véritable piège face à des démons... »

Elle le souleva avec peine, et vérifia qu'il tenait debout.

« Mon amie Selene ne va pas tarder à arriver, elle est puissante... elle pourra vous guérir. Tenez bon ! »

Les auras maléfiques approchaient, elle le sentait. Elle emmena Isaac-Alexander vers la sortie arrière du bâtiment en ruines, les démons arrivaient par l'avant. Elle pressentait qu'ils étaient environ cinq, mais n'allait sûrement pas attendre de vérifier. Elle marcha lentement et lorsqu'enfin ils atteignirent l'extérieur, elle essaya d'user de son pouvoir de ralentissement du temps. Se concentrant avec force, elle sentit la pression caractéristique de son pouvoir sur son corps. Tenant fermement d'une main l'ange pour qu'il ne soit pas touché par son pouvoir, elle prit une profonde inspiration. La pression augmenta de toute part sur son corps, pression qu'Isaac devait également ressentir. Puis elle disparut de manière sèche, immédiate, et l'impression de flotter prit le dessus. Signe que le pouvoir fonctionnait. De petites zones de pression venaient ici et là leur dire que le pouvoir n'était pas parfait, qu'il ne tiendrait pas longtemps. Mais la légèreté toujours présente leur permettrait de courir deux à trois fois plus vite que leurs assaillants. Asaliah n'attendit pas plus, priant pour que Selene les voient filer.

Liah se mit à courir tout en soutenant du mieux qu'elle le put l'ange à ses côtés, se dirigeant vers la forêt, abri relatif mais plus vaste et adéquat que l'entrepôt fermé. Elle se retourna à temps pour voir Selene apparaitre à l'angle du bâtiment. Elle avait été suffisamment intelligente pour ne pas entrer tout de suite, et les vit s'enfuir. Soulagée, Asaliah se stoppa et laissa son pouvoir fondre. Il fallait que Selene les rejoignent pour qu'elle puisse la toucher et l'épargner, elle aussi.
Ce qui ne tarda pas. Lorsque Selene arriva, Liah ne dit pas un mot, saisit sa main et se concentra à nouveau. La pression familière apparut, puis la soudaine légèreté. Mais celle-ci était faible, il n'y avait pas de temps à perdre. D'un coup d'œil, elle indiqua à sa mère de cœur que leur compagnon était blessé, mais ils ne s'arrêtèrent qu'après quelques minutes. La légèreté disparut, et ils s'installèrent sous un arbre.

« Il est blessé, il faut le guérir, il nous ralentit... ! »

Sans un mot, Selene se pencha sur son collègue, et mit ses mains par dessus son corps, en un geste protecteur. Une lueur apparut bientôt, et une chaleur intense irradia le corps d'Isaac. Bientôt, ses plaies visibles et invisibles disparurent, petit à petit.

« Ils sont à peu près cinq, je pense. On les attaque, ou on s'enfuit ? Si on fuit, il faudra nous séparer... » dit-elle avec regret, un regard pour Isaac avec qui elle voulait encore s'entretenir.

Sélène était parvenue à guérir Isaac-Alexander à temps, et ils avaient dès lors pu rejoindre une cachette.

La question était à présent de savoir s'ils fuyaient ou s'ils se battaient. Liah ne souhaitait pas spécialement mettre sa mère de cœur en danger, pas plus que cet ange qu'elle ne connaissait pas vraiment, mais elle n'avait pas envie de fuir. Depuis que sa fille avait disparu, elle n'avait pas beaucoup eu l'occasion de laisser sa rage sortir et c'était l'occasion ou jamais.

Elle hocha la tête pour acquiescer.

« Il faut agencer nos forces. Ça vous sert à quoi, exactement, d'embrasser comme un dieu ? Sélène peut guérir, ça ne servira pas à l'attaque, mais elle va pouvoir nous dire où l'un d'eux est, en tout cas. Je peux ralentir le temps, mais je ne suis pas aussi puissante que vous deux. Et vous ? Embrasser comme un dieu, ça peut nous aider ? Quoi d'autre ? »

L'ange semblait légèrement vexé par le peu d'intérêt de Liah envers sa tentative d'humour - ou de drague, elle ne savait pas trop et n'avait pas le temps de s'y attarder maintenant.
L'air fier, il lui précisa qu'elle devait la vie au fait qu'il embrasse comme un dieu, bien qu'elle constata que voler des souvenirs par les baisers n'assurait en rien la qualité de ces derniers !

Un silence s'installa, et l'ange fixa l'entrepôt, puis expliqua son second pouvoir à l'aide d'une petite démonstration. Un démon fut tué par l'expérience mais les autres rappliquaient avec vivacité, déterminés à en finir avec eux.
C'est avec condescendance qu'Isaac précisa qu'elle pouvait les ralentir avec plaisir, et elle lui lança un regard mauvais.

« Ils ne seraient pas en train de courir dans notre direction si vous ne leur aviez pas indiqué si facilement où nous sommes. Autant les appeler tout de suite ! » grommela-t-elle avant de se concentrer du mieux qu'elle le put, toute distraite par ce vieux rabougri que semblait être devenu son compagnon.

De nouveau, la sensation de lourdeur prit place autour d'eux, avant de disparaitre brutalement et de laisser place à une légèreté toute neuve, tandis qu'Asaliah touchait à la fois Sélène et Isaac.

« Une idée d'où nous pourrions aller pour avoir une meilleur position d'attaque, monsieur le génie de la manipulation... ? Je n'ai aucun pouvoir pouvant les tuer, je ne serai pas d'une grande aide » avoua-t-elle avec regret, omettant volontairement de le congratuler de génie du baiser.

Aussitôt il avait projeté le rocher sur le groupe de démons, Isaac avait regretté son geste. Il n’était pas dans sa nature de commettre des actes aussi incalculés. La prudence étant synonyme de survie, une imprudence comme celle-ci relevait, en toute logique, du suicide. Qu’avait-il à prouver à cet instant pour se montrer aussi impétueux que dans sa jeunesse ?

Il sentit une nouvelle fois la pression s’atténuer autour de lui et observa, émerveillé, les démons qui ralentissaient en face d’eux. Cependant, l’un d’entre eux, particulièrement rapide, continuait à progresser à un rythme raisonnable.

«Plus fort» commanda-t-il à Asaliah, probablement déjà à bout de souffle.

Conscient qu’il devait agir, Isaac se concentra sur sa respiration : ce qu’il s’apprêtait était beaucoup plus complexe que de lancer un caillou. Une fois le bon niveau de concentration atteint, il marmonna:

« Cœur »

À quelques mètres d’eux, le démon en tête du groupe se convulsa de douleur, un rayon de lumière dorée émergea de sa poitrine. Isaac-Alexander lâcha un rugissement tellement l’effort était intense. L’organe ensanglanté dans la main, il s’adressa à ses compagnes :

«La colline, là-bas, nous donnera un meilleur angle d’attaque et nous serons sous le couvert des arbres. »

Isaac ordonna à Asaliah d'insister davantage sur son pouvoir, alors qu'elle faisait déjà son maximum. Cette déconcentration lui fit perdre le peu de puissance qu'elle avait déjà et lança un regard agacé à l'ange.

Tout à coup, elle vit le démon qui résistait le mieux à son pouvoir se convulser et sans comprendre comment, le cœur de l'être maléfique se trouva entre les mains du vieil ange. Horrifiée, Asaliah en perdit toute concentration tandis que l'autre les invitait à rejoindre une colline.

A bout de force, elle laissa tomber son pouvoir, ils avaient une petite avance, et la légèreté disparut aussi brutalement qu'elle était arrivée.

Tous trois coururent jusqu'à la petite colline.

« La prochaine fois que vous me donnez des ordres, jugez d'abord de leur efficacité... ! » lança-t-elle à Isaac-Alexander, car il n'avait rien à lui dire, et qui plus est, cela lui avait fait perdre toute concentration. « Je n'ai jamais accepté les ordres de qui que ce soit, pas même de mon père, ce n'est certainement pas avec un bougre comme vous que ça va commencer ! »

Sélène lui lança un regard sévère mais ne commenta pas... elle finit même par avoir un petit sourire en coin en détournant le regard, sans un mot.

Isaac-Alexander demeura imperturbable face aux reproches de la jeune femme. L’expérience lui avait appris à maîtriser ses émotions, à contrôler sa présentation pour ne laisser transparaître aucun élément compromettant.

« C’est donc de là que la grande Asaliah Amos tire sa force légendaire, de ses manières d’enfant gâtée. Je suis désolé princesse, mais je ne fais malheureusement pas partie des personnes qui seraient prêtes à s’arracher le cœur pour vous. À défaut, je peux toujours vous donner celui-ci » conclut-il en lui tendant l’organe qu’il n’avait toujours pas lâché.

L’Ange profita du silence qui s’en suivit pour évaluer la position des démons et ralentir leur progression en provoquant quelques éboulements. Malgré tout, ils se rapprochaient rapidement et rejoindraient la colline bientôt. Isaac s’accorda néanmoins quelques précieuses secondes pour adresser une autre réplique acide à sa compagne.

« Épargnez-moi votre air outré, à force de confondre vos amis et vos ennemis ainsi vous allez devenir exactement comme moi… et je suis unique.»

Absorbé par ses basses paroles, il ne remarqua pas une chaîne métallique foncer vers lui. Manifestement animée par quelconque magie, elle s’enroulant autour de ses poignets et le plaqua au sol.

« La bonne nouvelle, c’est qu’ils nous veulent probablement vivants (autrement je serais mort). La mauvaise, c’est que je n’ai pas la même efficacité pour déplacer des objets avec ma langue. »

À présent, elle n'était plus agacée, elle était carrément exaspérée. Enfant gâtée peut-être, mais elle n'en avait jamais usé pour se défendre. Elle était seule depuis trois cents ans que diable ! Elle se contenta d'un sourire hypocrite au possible à l'égard de son compagnon qu'elle commençait plutôt à considérer comme un boulet à défaut d'autre chose et resta silencieuse.

Elle rit même aux éclats quand il se prétendit unique.

"Dieu merci, on nous a épargné un autre... Un deuxième vous !"

Ils n'eurent pas plus le temps de discuter car un objet métallique vint attacher les poignets de l'unique. Il trouva encore le moyen de faire de l'humour mais Asaliah ne trouva pas ça très drôle. Elle se rua vers lui pour essayer de le libérer puisqu'il n'était apparemment pas si dieu de l'embrassade que cela - ce qu'elle ne manqua pas de lui faire remarquer - mais bien évidemment ce n'était pas si facile. La magie s'en était mêlée et elle ne pouvait pas faire grand chose.

Elle s'éloigna donc de lui et ferma les yeux, les sourcils froncés. Doucement mais sûrement, ses extrémités disparurent pour devenir d'abord translucides puis invisibles. Une fois que son corps entier fut dans le même état, elle toucha Sélène et Isaac qui commencèrent eux aussi à disparaître.

"Et maintenant on court pour gagner du temps... " chuchota-t-elle.

«Non, restons sur place» commanda Isaac alors que ses extrémités s’estompaient.

Maintenant qu’il était entravé, les démons les rejoignirent en quelques secondes et commencèrent à décrire des cercles, passant à quelques centimètres d’eux. Le pouvoir d’invisibilité n’avait pas occulté leur trace aurique et les démons les repèreraient sous peu. Certes, l’obscurité palliait pour les faiblesses du pouvoir d’Asaliah, mais il ne savait pas combien de temps elle tiendrait encore. Il fallait agir d’urgence.

Isaac rassembla ses forces et parvient à se lever. Sans un mot à ses compagnes, il commença à marcher avec les démons, obligeant Asaliah et Sélène à le suivre pour ne pas rompre le contact qui les compromettraient tous. Mobiles, ils seraient plus difficiles à trouver et l’Ange profita de cet avantage stratégique pour observer les démons. Il repéra assez aisément celui qu’il cherchait : un homme robuste au crâne rasé qui serrait avec avidité son poing gauche, un détail qui causerait sa perte. Isaac passa devant lui et l’embrassa, lui suggérant, en une seule seconde, un millier de souvenirs aléatoires. L’effort mental excessif fit s’évanouir le démon en libérant Isaac-Alexander de ses chaînes.

Les démons se retournèrent vers leur comparse en déroute, n’imaginant pas que le responsable se tenait à quelques centimètres à peine. Ils s’énervèrent et commencèrent à fouiller avec plus d’énergie, usant de leur pouvoir sur des cibles aléatoires de temps à autre.
Isaac fouillant les poches de sa victime et en ressortit deux gros poignards qu’il tendit à Asaliah et Sélène. Elles en auraient besoin.

L'ange n'avait heureusement pas que des mauvais côtés. Son idée de rester sur place n'était pas mauvaise, elle était même plutôt bonne, à vrai dire, car il était à peu près sûr que les démons ne penseraient pas qu'ils soient restés si près d'eux.

Tandis qu'ils restaient sur place, Isaac finit par se lever et entraina Liah et Sélène dans sa course étrange. La jeune ange avait envie de lui flanquer une raclée, l'envoyer bouler, l'insulter et lui mettre une gifle, mais pour sa survie et celle des autres, elle ne pouvait rien faire. Elle préféra se concentrer sur son pouvoir car Isaac la mettait dans une position difficile. Si elle ne tenait pas bon, ils risquaient bien d'y rester tous les trois. Il n'imaginait sans doute pas à quel point il était difficile pour elle de maintenir ainsi trois personnes dans l'invisibilité. Se maintenir elle-même n'était déjà pas simple, trois personnes demandaient bien plus d'efforts encore. Elle savait qu'elle ne tiendrait plus éternellement, mais comment le lui signaler sans se trahir auprès des démons ?

Tout à coup, Isaac en mit un au sol après l'un de ses baisers, ce qui intrigua Liah au plus haut point. Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir des ses baisers pour qu'ils aient de telles conséquences ? Ce n'était pas le moment de répondre à cette questions, toutefois.
Les deux autres démons furent surpris et cherchèrent avec plus de hargne, Isaac en profita pour donner un poignard à chacune de ses compagnes.

Liah jeta un coup d'oeil à sa mère de coeur, et d'un geste commun, elles s'élancèrent chacune vers un démon. Le pouvoir de Liah se brisa et les trois anges apparurent alors d'un coup, Liah se rua sur son démon et lui trancha la gorge sans hésitation tandis que Sélène plantait le couteau dans la poitrine de son adversaire à un endroit stratégique. Les deux derniers démons étaient morts.

Liah se retourna vers Isaac, et s'avança directement vers lui. Elle lui flanqua une gifle.

« Je suis sans doute une enfant gâtée, mais je n'ai jamais vu un ange aussi peu subtile que vous... à se demander comment mon père a pu vous prendre sous son aile ! Vous êtes âgé et vous agissez comme un enfant. Au moins, en ce qui me concerne, j'agis selon l'âge que j'ai ... et je ne me vante pas d'avoir passé 300 ans à échapper aux démons alors que je suis l'un des êtres les plus recherchés. Grandissez, monsieur je sais tout, et arrêtez de snober les autres, regardez-vous dans un miroir, d'abord ! »

Puis elle tourna les talons et s'éloigna, alors que Sélène l'appelait en vain pour qu'elle revienne.

Isaac-Alexander profita de l’initiative avisée de ces compagnons d’armes pour achever le démon inconscient. Certes, au moment où leur agresseur se réveillerait, ils seraient probablement hors d’atteinte, mais l’Ange ne pouvait pas prendre le risque qu’un des souvenirs qu’il avait transmis par son baiser ne compromette sa sécurité. D’ordinaire, il suggérait des scènes sans intérêt, mais, cette fois-ci, il avait manqué de temps.

L’Ange se releva, dégouté par le geste que les circonstances lui avait imposé, et encaissa le gifle foudroyante. Sous le choc, il préféra se taire pendant que la jeune femme déchaînait sa furie. Il le méritait sans doute, mais ne pouvait s’empêcher de penser que, malgré tout, il lui avait sauvé la vie. Elle tourna les talons. Isaac-Alexander lui accorda quelques secondes avant de la rejoindre.

« Je sais que vous n’avez pas besoin de moi pour le confirmer, mais votre colère est légitime. Cependant, avant de me demander de partir, laissez-moi vous racontez les évènements, les souvenirs, qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.»

L’Ange entreprit le récit de son existence. Il lui expliqua qu’il avait été avide de souvenirs, de connaissances, de puissance. Comment il avait pénétré les arcanes de la mémoire de ses victimes et comment, au final, il s’était retrouvé seul.

«Nous ne sommes rien d’autre que la somme de nos expériences passées, de nos souvenirs. Vous affirmez que je suis immature. Je suis à la fois jeune et vieux, ange, démon et mortel, homme et femme. Je porte le bagage de centaines – de milliers – de vies qui s’opposent et se complètent. C’est votre père qui m’a permis de retrouver un semblant d’équilibre, de forger un nouveau moi et d’accepter que celui que j’étais ne reviendrait jamais. Il est trop tard pour moi. »

Il se tut, son regard se perdit dans le couvert nocturne.

«Il n’est pas trop tard pour vous. N’essayer pas de vous soustraire à vos émotions, de devenir la personne inflexible et hargneuse que vous n’êtes pas uniquement parce que le destin a parsemé votre route d’embûches. Autrement, vous risquez de vous perdre en chemin et de devenir exactement comme moi aujourd’hui : seul.»

Nouveau silence. Il pleurait.

« Mais je suis déjà seule... » dit-elle sans même y penser, se retournant vers lui.

Elle avait écouté son discours, elle avait eu elle aussi envie de pleurer, mais pour des raisons différentes. L'entendre parler de son père ainsi lui rappelait qu'il n'était plus là pour la conseiller, l'aider, l'aimer, tout simplement et sans condition.

Asaliah se sentit extrêmement seule en écoutant cet ange. Elle avait Sélène, qui était restée au loin pour les laisser discuter, Ysaline aussi et quelques connaissances qui étaient prêtes à l'aider. Mais elle vivait tous les jours seule, portant ses peines sur le dos, fuyant ses démons.

« Comment était-il avec vous ? A-t-il seulement laissé entendre quelque chose sur sa position par rapport à cette guerre... aux hybrides ? »

Elle avait retrouvé son calme aussi vite qu'elle l'avait perdu, avide à présent d'entendre encore parler de son père. De savoir, car c'était ce qui minait le plus la jeune femme, enfin, ce que son père avait réellement pensé de sa petite-fille, toute première hybride. Toute première infraction à la guerre des anges et des démons...

Les barrières de son silence s’effritait, la forteresse qu’il s’était bâti entre lui et le monde n’était désormais qu’un amas de ruines à l’aspect insolite, irréel. Il observa Asaliah un instant. Arrivait-il trop tard ? Avait-il échoué à l’ultime tâche que lui avait demandée son mentor ? Cette possibilité l’horrifiait, les échecs qu’il avait connu n’avaient concerné que lui-même. Cette fois, une autre personne souffrirait de son incompétence. Sans ralentir le débit de ses larmes, il s’adressa à Asaliah.

«Votre père, en son temps, a considéré que ma vie valait suffisamment pour être sauvée. J’étais alors au plus profond de la déchéance : je m’étais détourné du bien, j’ignorais les attraits du mal, je vivais dans le néant. Une âme vide.»

Il s’accorda une pause avant de répondre, choisissant minutieusement ses mots.

«Je ne sais pas ce que votre père pensait de cette guerre ou des Hybrides, mais je sais qu’il respectait la vie plus que quiconque. À ce titre, il vous aimait vous et votre fille pas comme Ange, Démon ou Hybride, mais comme un être vivant. À ses yeux, cela justifiait tout l’amour du monde.»

Isaac-Alexander fixa le vide un instant, à la recherche des ombres d’une époque révolue.

«Je pense qu’il serait déçu aujourd’hui s’il voyait son héritage est devenu le motif d'une croisade.»

Asaliah en avait les larmes aux yeux. Entendre parler de son père, après ces années sans lui... c'était une délivrance, et à la fois une souffrance. Mais elle en avait tellement eu besoin sans jamis pouvoir le faire, toujours à se cacher et fuir car tout le monde était ennemi.

« Merci... j'avais besoin d'entendre cela, je crois que vous le saviez. Mais je pense que vous avez raison. Et s'il vous a donné une chance alors que personne d'autre ne vous en donnait une, c'est que vous le méritiez. Vous êtes insupportable, mais vous voyez, vous arrivez à être aimable quand vous le voulez ! » lui dit-elle avec un petit sourire en coin.

« Alors dites-moi... pourquoi vous avez voulu me prévenir ? Risquer ainsi votre vie pour la mienne... peu de gens sont encore enclins à le faire... d'ailleurs, je n'aime pas qu'ils le fassent - mais comprenez-moi bien, je ne suis pas ingrate ! »

Pour la première fois en trois siècles, Isaac-Alexander oublia ce qu’il avait été. L’espace de cet instant, les souvenirs semblaient s’être retirés dans le passé pour laisser place à l’espoir de l’avenir. Il n’était pas normal – il ne le serait jamais, mais il était exactement celui qu’il voulait être : quelqu’un de bien, quelqu’un d’«aimable», c’était sans doute la première fois qu’on le qualifiait ainsi en toute sincérité.

«Croyez-vous au destin ? demanda-t-il. De mon côté, j’ose croire qu’on ne nous attribue pas une vie sans nous donner une direction initiale, un but, un idéal. Parfois, nous nous égarons, parfois nous choisissons de dévier de notre route, mais, au final, on y reviendrait toujours, malgré les épreuves que nous traversons.»

Il observa quelques secondes l’entrepôt, maintenant totalement dissimulé sous le couvert nocturne.

« Je pense qu’en entrant dans cet entrepôt ce soir, j’ai retrouvé la route qui m’était destinée. Elle n’est pas conventionnelle, mais je ne le suis pas davantage. Au départ, je croyais que je faisais cela parce que j’avais une dette envers votre père, un moyen de l’honorer en quelque sorte. Je réalise que je l’ai fait pour moi. J’ai besoin d’un sens à ma vie, c’est pour ça que je vous ai sauvé et c’est aussi pour ça que je continuerais à vous suivre quoi qu’il arrive, parce que je pense que c'est vous qui menez le bon combat.»

« Si nous étions tous destinés, cela voudrait dire que nous ne sommes pas maîtres de nos vies... et je n'aime pas cette idée » répondit doucement Asaliah.

Elle imaginait qu'elle n'aurait jamais pu sauver sa fille de la mort et cela la rendait folle... elle préférait se sentir responsable plutôt que soulagée de se dire que de toute façon, c'était le destin. L'idée que rien ni personne n'aurait pu empêcher ce malheur ne la soulageait aucunement mais la faisait culpabiliser encore plus de se délester de ses responsabilités.

Sans compter que cela signifiait qu'elle n'aurait eu d'autre choix que de rencontrer ce démon... et de l'aimer jusqu'à la fin de ces jours. Si elle devait admettre qu'elle l'aimait toujours, elle préférait imaginer qu'elle ferait très bien sa vie sans lui comme depuis plus de 300 ans.

« Je ne pense pas que ça soit votre destin, mais je vous suis reconnaissante d'être de mon côté... plus nous serons, et plus nous aurons de chances de vaincre un jour... »

Les deux anges parcoururent encore quelques pas ensemble, et la promesse de se revoir et de s'entraider fut faite entre deux êtres que le destin, inchangeable ou non, avait réunis.