Il y eut Yéyalel et il y eut les suivants. La guerre avait déjà éclaté et bientôt tout y fut plongé. Tout, au-dessus comme au-dessous, et même sur la terre devint le théâtre de l’apocalypse. D’aucun disent que le tout puissant lui-même est mort dans les affrontements. Matheo n’en sut rien. Seuls quelques « on-dit » lui sont parvenus par la suite.

Bien avant cet évènement, un démon convainquit un ange de le suivre sur terre pour s’y cacher, y dissimuler leur amour.
D’abord ennemis, le père avait bien failli tuer la mère de leur futur enfant. Mais au moment de lui porter le coup de grâce, il hésita. Elle était trop belle pour que son visage et son regard ne reviennent pas le hanter à tout jamais. Il se souvint alors, se noyant dans ses yeux, que c’était la seconde fois qu’ils s’affrontaient. Lors de leur première rencontre, bien des siècles auparavant, c’était elle qui lui avait laissé la vie sauve. Il comprit alors que cette fois, incapable de se résoudre à lui prendre la vie, elle s’était résolue à se laisser abattre par amour.

Incapable de continuer le combat sous peine de se retrouver à nouveau l'un face à l'autre, ils convinrent qu’il fallait partir et ils cherchèrent d’abord à fuir le plus loin possible Kingstorm.
Malheureusement, l’aura des immortels n’échappent pas à leurs semblables. Perdus au milieu des hommes, ils étaient très repérables.
Il s’avéra que ces deux traitres à leurs causes respectives furent plusieurs fois retrouvés, par hasard. Ces anges et ces démons qui arpentent la terre au gré de leurs envie ne pouvait manquer ce couple d'aura chaque fois qu'ils arrivaient dans la ville ou il s'était installé
Et si ces importuns furent châtier pour leur témérité ou pour leur curiosité, les deux fuyards conclurent un jour qu’il serait plus facile et prudent, le grand âge ne sachant tarder, de se fondre dans la masse d’auras qui circulent dans la ville préférée des cieux comme des tréfonds.
Très vite, un être naquit de cette union, altérant dans leur essence même et à jamais les parents déjà résignés à ne plus retourner auprès des leurs.

À peine entré dans sa première vingtaine, l’enfant dut veiller sur son père à nouveau né. Il put compter d’abord sur toute l’aide attentive de sa vieille mère avant de devoir se débrouiller seul pour élever ces deux enfants.

Une vie s’écoula, et puis une deuxième commença, toujours dans une austérité et une discrétion altérées par quelques apparitions de semblables attirés par cet étrange mélange d’auras lorsqu’ils passaient trop près de leur cachette du moment. Ils durent plusieurs fois déménager pour rester à l’abri de la curiosité des mortels lorsque ces visites impliquaient quelque effusion d'extravagances sanglantes.

Au matin du trentième anniversaire de sa seconde vie cependant, il ne sut protéger et son père et sa mère alors qu’un ange les avait trouvés. L’assaillant périt un instant trop tard, emportant le plus jeune des deux garçons : son père. Seul avec sa mère, ils eurent du mal à surmonter cette épreuve mais y parvinrent.

Malheureusement, le secret sur les monde derrière le monde ne pouvait durer éternellement puisque, finalement, les terrestres découvrirent la Vérité. Alors, il n'y eut besoin que de quelques ragots sur un couple bizarre et de quelques personnes assez futé.
Matheo et sa mère attirèrent l'attention des mauvaises personnes et un jour que l'hybride n’était encore plus qu’un très jeune enfant, une poignée d’homme entra par effraction dans leur maison sans que ni le petit garçon, ni la vieille femme ne puissent rien faire.

Ils avaient trouvé en moi et ma mère deux sources de sang doré inépuisables.
À peines un an après leurs premiers prélèvements, je manquai de leur glisser entre les doigts. Je pense bien avoir frôlé la mort. Ils tâtonnaient encore dans leurs procédés. Ma mère, d’abord trop âgée, puis trop jeune (beaucoup trop jeune) ne résista pas à leurs premiers balbutiements.
Moi par contre, je restai en vie. Mais quelle vie !

Entre éveil et sommeil, le corps jamais mobilisé.
Des dizaines d'années partirent en fumée alors que je restais dans une léthargie artificielle intolérable. J’avais l’impression de sentir tous mes muscles se liquéfier au fil des années. Toute notion de temps me devint étrangère. J’avais l’impression de perdre la tête. J’en aurais presque oublié ce qui m’arrivait et ma présence ici. Mais il y avait ces flashs. Des réminiscences confuses me revenant souvent, comme à chaque fois que j’oubliais, pour me forcer à me souvenir : la mort de celle qui m'avait donné la vie, leur affairement autour de la table à côté de moi, leurs cris, leur dispute, leurs réflexions, leurs suppositions,… Et puis leur désintérêt… Le petit corps de ma mère enfermé dans un sac noir et emmené à l’extérieur sans que je ne la revis jamais.

Ils étaient bien informés.
Ils savaient que je n’avais pas besoin de nourriture, ils avaient su quand venir nous cueillir à la fin d’une vie de ma mère. Oui. Cueillir. Nous n’étions que des denrées à récupérer sans même trop d’efforts. Ils n’avaient pas non plus été surpris de sa réincarnation spontanée. Je ne sais pas qui est le traître qui a ainsi vendu ces informations à ces êtres inférieurs, ni si une telle personne pouvaient exister, ni si ce n’était pas plutôt un autre ou plus d'un immortel qui avait servi de cobayes avant moi.
Régulièrement, ils revenaient prélever de mon sang, diminuant la dose de sédatif, augmentant la dose de stupéfiant pour me mettre en état de stresse et me forcer à utiliser ma magie. Je sentais sur mon bras la chaleur de mon propre corps. Je voyais parfois le liquide lumineux couler de mes veines à travers le tuyau. Je devinais leurs sourires ou leur satisfaction derrière leurs masques chirurgicaux.

Il y avait d’autres visions.
Je voyais des personnes que j’attaquais, déchiquetais de mes crocs, de mes griffes. Je sentais leurs chaires se déchirer et puis leur sang couler sur mon pelage ou dans ma bouche, ce sang si lumineux. Mais je ne tuais pas. Les humains qui m’ordonnaient venaient récupérer les blessés.
Plus tard je compris. Du moins je finis par déduire et me convaincs d'une vérité affligeante. J’étais sûr de ne plus être un cas unique. J'en venais même à me demander si je ne l'avais jamais été. D’autres immortels subissaient comme moi cette captivité, cette traite. Combien y en avait-il ? Combien survivaient à ce traitement que je doutais pouvoir supporter encore longtemps ?

J’appris des choses.
Tout ce qu’ils savaient sur l’utilisation de notre sang, je l’intégrais malgré moi. L’éternité de néant que j’avais l’impression de vivre ne demandait qu’à se remplir. Des noms, des visages, des lieux, des plans, des ambitions. Tout cela pénétrait avec violence mon esprit, ressortant parfois mais rarement.

Je n’en pouvais plus.
Mais lorsque je ne voyais pas de carnage ou de blouse venir me ponctionner, je réussissais à m’endormir. Et alors, des monstres dansaient autour de moi. Bizarrement, je n’en avais pas peur. J’étais calme, serein, apaisé de les voir. Très vite, ils commencèrent à me parler, me murmurer des choses. Je ne comprenais pas leurs paroles mais leurs voix me réconfortaient. C’était un brouhaha, un chuintement agréable qui m’assourdissait, me coupait de cet enfer que n’importe quel démon, Satan lui-même, fuirait.

Et puis, enfin, il y eut cette bourde !
Au fil des ans, mon esprit commença à s’embrouiller de moins en moins. Venant m’exhiber leur contrôle sur l’une de mes créatures, leur sédatif se dissipa et leur temps d’utilisation de mon sang arrivait à terme. La bête croisa mon regard et son contrôle changea de main. Elle me vengea avec toute la rage que j'avais bridé en moi. Ce fut un carnage.

Grand dieu…
Tout ce hasard, toute cette chance en un moment pareil, après tout ce temps… Je ne sais pas si le créateur est vraiment mort. Aujourd'hui encore je doute de ce fait. Peut-on tuer dieu ? En tout cas, une chose est sûre : s’il existait encore au moment où ces coïncidences se produisirent, même si j'avais été plus lucide alors que le sang giclait tout autour, je ne pense pas que je lui en aurais été pour autant reconnaissant. Les anges lui obéissent non ? Je le tenais donc pour responsable de celui qui avait tué mon père. Dieu est omniscient ? Il avait donc laissé ma mère mourir, il m’avait regardé torturé par ses créatures les moins accomplies… Si le créateur était encore en vie durant ma longue souffrance, j’aimerais être celui qui le ferait disparaître car jamais je ne pardonnerai ces atrocités.

Liberté chérie, liberté à tout prix, liberté infinie…
J'approchais la quarantaine d'après quelques calendriers que je retrouvais après mon évasion. Depuis l'âge de sept ans je supportais leur torture. Plus de trente ans pour m’extraire de cette prison. Ne restait plus de leur installation qu'un bâtiment ravagé et mes premières victimes humaines. Dans mon cœur, aucun regret. À cause d'eux, j'étais seul et je trainerai à jamais derrière moi ces années de souffrance.
Né de l’union des deux opposés et je me détournai ce jour du troisième choix qui s’offrait à moi : les mortels ne méritaient pas de vivre.
J'aurais dû faire un choix.
Pourtant, même après ce que dieu et ses préférés immaculés m’avaient fait, je n’arrivais pas à les haïr ni même à rejoindre leurs ennemis héréditaires. Mon père avait quitté les démons parce qu’ils ne l’auraient pas compris. Pourquoi me comprendraient-ils, moi le fruit de sa folie ? Et ma mère m'avait avoué, après qu’ils aient éliminés son amour, ne pas réussir à leur tenir rigueur.
Par respect pour elle et sa mémoire, je ne pouvais me résoudre à les maudire.
Mais s’il y avait un camp que j’avais en horreur, c’était celui auquel je me mêlai.

Vivre, sinon survivre.
Après m’être sauvé, je dus réapprendre à vivre ; seul désormais (ou presque). Mes géniteurs m’avaient appris beaucoup de chose mais il m’en restait tellement à apprendre.
Me faire passer pour un mortel ne fut pas le plus dur. Le nom que m’avaient donné mes parents était expressément humain.
Pendant les dix années qui suivirent, je m'acharnai à retrouver une condition physique acceptable, à me fondre dans la masse, à découvrir les pouvoirs que mes parents n'avaient pas vraiment pris le temps de m'expliquer.
Rapidement, je me fis un nom dans les milieux malfamés, ayant la fâcheuse tendance à la violence. Ce fut tout bonnement facile. Quant à rester discret, je crois avoir toujours su gérer mon pouvoir de vitesse. Je n'en profitais que pour avoir un très léger avantage sur les mortels.
Aujourd'hui, je regrette un peu d'avoir ravagé ces bars. Mais le climat et les blessures psychiques encore trop ouvertes ne m'avaient pas incité aux bonnes actions.
L’alcool et le tabac avaient fait mine de m’aider à oublier un peu de mes peines, quelques tatouages avaient fleuri sur mon corps bientôt revigoré, et la drogue finit de passer dans ma vie et dans mes veines. Après des années sous sédatifs et stupéfiants, le sevrage ne fut pas simple et l’aide que quelques mortels m’apportèrent me répugna et me soulagea à la fois.
Désormais, j'avais les idées plus claires. Bien que toujours sujet à des crises de violence, je restais plus lucide.

Dans un monde sans Eden, garder son jardin indemne.
Heureusement, ma solitude n’était que partielle. J’appris vite que, où que j’aille, quoi que je fasse, des êtres au-delà de toute cette guerre imbécile étaient toujours là pour moi. Mes créatures m’aidèrent à ne pas abandonner, à continuer à me battre. Ce que je prenais pour des hallucinations durant mes années de torture et d’emprisonnement était en fait ce qu’eux vécurent.
J’avais appris sans m'en rendre compte à ressentir ce qu’ils vivaient et je compris qu'ils vivaient ce que je ressentais.
Ils m’avaient maintenu hors de la folie, gouffre que j’avais frôlé plus d’une fois sur cette table horrible.
Mais ils ne pourront jamais remplacer ceux qui m’avaient mis au monde. C’est ces derniers qui m’avaient appris les origines de ce monde et son état avant qu’ils ne s’en désintéressent, c’est aussi eux qui m’avaient aidé à découvrir mes pouvoirs, à vivre sur terre incognito, à instaurer une bride psychique sur ma vitesse.

Et après…
Je ne sais toujours pas quoi penser de cette histoire de mort du créateur et ne connait pas toute l’étendue de mes dons.
Mais je suis sûr d’une chose, je ne me laisserai pas attraper et vider de mon sang ; je n’irai pas m’entretuer pour une cause que je ne saurais choisir... Mais il y a d’autres laboratoires, d’autres immortels prisonniers, d’autres salles de traite.
Que puis-je faire d'autre ? Chacun doit avoir un but. Le miens sera de me venger et de réparer ce que j’ai permis.